Par Jacques Monsault dans la revue "Bateaux" n°48 de 1962

Le caractère artisanal de la construction des bateaux de plaisance et la nécessité de lutter par la fabrication en série contre l'augmentation constante des prix de revient se maintiennent à travers les chantiers, les bateaux, et même les matériaux.

En effet, si la construction des bateaux en résine armée comporte une part importante de main-d'œuvre, elle implique également une mise en route minutieuse et coûteuse qu'il importe d'amortir sur un nombre maximum d'unités. Le problème se complique du fait qu'un bateau bien conçu doit être déterminé dans tous ses détails avant de passer à la fabrication, du fait que les modifications ultérieures seront difficiles, sinon impossibles.

Les constructeurs qui observaient volontiers une réserve prudente dans la conception des aménagements ont été amenés à prendre un parti, c'est ce qui explique que les unités en plastique sont souvent plus «typées» que celles en bois. Cela implique également qu'il est plus que jamais utile de les étudier dans le détail.

Les chantiers Jouet n'ont pas hésité à risquer plusieurs idées originales sur leur nouvelle unité en plastique : le «Golif». Cela méritait un examen approfondi.

CONCEPTION DE BASE

Pour ceux qui, comme nous, connaissaient de longue date les projets de Jouet et qui ont assisté à la réalisation du bateau. Ici vérité oblige à dire qu'il fut longtemps douteux que le promoteur réussirait à concilier les exigences contradictoires de son programme.

Il fallait que le bateau soit adapté au marché américain, sur lequel Jouet exerce depuis longtemps un effort important. Or, les plaisanciers d'outre-atlantique, si leurs bateaux de course sont probablement les meilleurs du monde, manifestent dans les petites unités des ambitions moins hautes et se concentrent surtout sur le confort intérieur.

Le bateau n'en devait pas moins se montrer un marcheur convenable, ne serait-ce que pour ne pas décevoir sa première clientèle, aux ambitions sportives, et qui, pour ne pas être très importante, n'en représente pas moins un élément qualificatif important. On voulait un bateau raide à la toile, mais transportable sur route, un volume intérieur important mais un fardage réduit, et ainsi de suite.

Le résultat final est un bateau un peu plus grand et plus lourd que les cruisers de la même catégorie. «Quillard» et lesté en principe à 480 kg (lest en fonte extérieur).

Techniquement, les efforts dus au rappel du lest sont absorbés par des dispositions de tissus appropriés, et quelques varangues noyées dans l'épaisseur. On peut supposer que Jouet a été influencé pour cette réalisation par le «Triton», qu'il construit sous licence américaine, suivant cette technique. Le plan de formes se caractérise par des entrées d'eau assez fines, et un effort pour augmenter, semble-t-il, la portance de l'ar­rière, ce qui se traduit par un arrière peut-être un peu volumineux pour l'œil. Les familiers du «Cap Horn» ont pu remarquer que ce bateau, dont le cockpit est assez réduit et en avant, donne son meilleur au près avec au moins un équipier au pied du mât. Sur le «Golif», où l'on reculait quelque peu un cockpit volumineux, lui-même suivi d'un moteur, il était logique d'essayer d'éviter un enfoncement qui détruirait l'équilibre. La difficulté est de ne pas perdre à la gîte l'avantage ainsi gagné ; on sait que les carènes volumineuses de l'arrière et fines de l'avant ont tendance à donner des bateaux ardents à la gîte. Nous reviendrons sur l'équilibre au chapitre des performances. Signalons pour l'instant que le plan du pont, assez plein sur l'avant comme on peut le voir sur le plan, conduit à un avant assez épaulé, qui a des chances de ne pas s'enfoncer, avec la déformation de carène qui en résulte, à la gîte.

Le lest extérieur en fonte permettra, par ailleurs, certains ajustements de poids et de tirant d'eau en fonction des catégories d'utilisateurs.

Le pont offre cette caractéristique d'avoir été dessiné de l'intérieur, c'est-à-dire en considérant la place nécessaire aux occupants, suivant les endroits, en le gardant par ailleurs aussi bas et dégagé que possible. Le résultat est assez tourmenté mais particulièrement fonctionnel.

Autre innovation de taille : le dessin des hiloires de cockpit, très enveloppantes puisqu'elles montent à hauteur d'épaule.

Le puits moteur est, à la suite du cockpit, dans l'axe. Le mât est en alliage léger. La visibilité et l'aération ont fait l'objet de soins particuliers.

La coque est moulée en deux parties. Le pont est moulé d'une seule pièce. Actuellement, seuls les aménagements sont réalisés en bois (contreplaqué). Il n'est pas sans intérêt de noter que le constructeur escompte une réduction du prix de revient quand son outillage lui permettra de réaliser tout l'aménagement intérieur en plastique, et que seule la barre sera encore en bois...

PERFORMANCES ET QUALITES NAUTIQUES

Au chapitre des performances, une parenthèse s'impose. Autant il semble logique de tirer des conclusions d'un bateau choisi au hasard dans une série commercialisée depuis un certain temps, comme les constructeurs de voiture font prendre un modèle par un huissier au milieu de la production de la Journée, autant il est difficile d'émettre des jugements définitifs quand il s'agit d'un prototype, que le constructeur se réserve de modifier a tout moment, parfois même, comme cela s'est vu en fonction des points soulevés à l'occasion de cette rubrique.

Ainsi dans le cas du Golif. bien que les commandes soient déjà substantielles, et si le bateau a d'ores et déjà sa silhouette définitive, des essais attentifs sont en cours, conduisant à modifier tel ou tel point qu'on ne peut qualifier de mineur, et toute conclusion risque d'être périmée avant d'être parue. Par exemple un changement de la forme du safran a eu raison d'une certaine dureté de la barre par brise, tandis que le plan de voilure, de la version J.O.G., a été sensiblement modifié dans le sens d'une augmentation des voiles d'avant, et d'une réduction appréciable de la grand-voile, tandis que le mât était lui-même avancé. Quelque peu ardent hier, le bateau risque de ne l'être plus du tout à sa livraison, et dans ces conditions, il est peu payant pour le chroniqueur de s'engager.

Nous avons, maintenant, une série de bateaux «dans un mouchoir» : Cap Horn, Pacha, Golif, Lanaverre 630 (dont l'essai paraîtra prochainement). Leur «cahier des charges » est presque le même : volume habitable, couchettes, rangement pour trois eu quatre personnes, longueur entre 6 m et 6,50 m, déplacement assez voisin. Il était fatal que les résultats soient assez voisins, les différences pouvant être prévues en fonction des éléments de base.

Ainsi il est sensible que l'on a voulu faire du Golif un bateau plus puissant que la moyenne, et, notamment avec son lest annoncé à 480 kg, et son tirant d'eau de 0.92 m.

Par rapport au Cap-Horn, autre cheval de bataille des chantiers de Sartrouville, on pouvait s'attendre à une marche au près meilleure par temps fort, et, dans l'ensemble, un bateau plus raide, moins rapide par petit temps et aux allures portantes.

De fait, nous avons pu constater que le Golif marchait de façon comparable au Cap-Horn par brise moyenne ou faible. Par gros temps, sa raideur supérieure à celle des bateaux du même type n'est pas absolument ce que l'on escomptait. Il ne peut guère être question de remettre en cause le poids du lest qui avait déjà fait l'objet d'un effort. Par contre, les sportifs trouveront probablement avantage à augmenter au moyen d'une semelle de bois le tirant d'eau jusqu'au maximum de la jauge.

Par ailleurs, le balancement de la coque n'est pas tel que l'on puisse se permettre de faire gîter le bateau quand on peut l'éviter. Dans ce domaine, la position assez haute de la borne se combine avec un plan de voilure particulièrement étroit, qui donne un centre de voilure assez haut. Il reste de la place sur le pont pour étaler vers l'avant le plan de voilure et, de toutes manières, la réduction de la voilure devra toujours se faire en commençant par la grand-voile.

La marche du bateau est sensible à la répartition des poids, mais les déplacements d'un équipier sur le pont ne sont jamais gênants. Comme on pouvait s'y attendre, la coque passe bien dans l'eau et le pont reste sec longtemps. La stabilité de route est bonne, et dans l'ensemble, on a, a la barre, l'impression d'un bateau plus «rond» et plus fort qu'un dériveur lesté, avec une réponse plus rapide au coup de barre et un supplément d'erre qui facilite les évolutions précises sans aller jusqu'à rendre le bateau pesant dans les accostages et les prises de corps-mort.

AGREMENT ET CONFORT

Le mouvement général vers des bateaux de plus en plus petits, depuis que la voile a commencé de devenir un agrément, s'il n'a pas laissé ignorer grand-chose de l'aérody­namique des voiles et du calcul des carènes, avait laissé beaucoup à faire dans le domaine de l'utilisation des volumes intérieurs, et chaque nouvelle unité apporte souvent sa contribution.

Celle du Golif est importante à plusieurs titres.

En premier lieu, on est frappé par la visibilité. Le grand pare-brise, style Ondine, qui a imposé un modelage approprié au pont, se révèle un élément de confort important et qui fera, sans doute, école. Les promoteurs poussent même un certaine psychophysiologie de la vie en mer jusqu'à avancer qu'une meilleure visibilité diminue sensiblement les cas de mal de mer, dans la mesure où celui-ci est une manifestation de claustrophobie plus ou moins consciente. Nous pensons, quant à nous, que c'est plutôt une question d'aération, mais il est certain qu'à la mer, il y a toujours du monde dans la cabine du Golif. Cette observation ne résoudra pas d'ailleurs, la question posée, car l'aération, elle aussi, est bonne sur le Golif, en raison de la présence d'un aérateur d'étrave, auquel nous avons d'ailleurs eu la satisfaction d'apporter notre petite contribution « sur le tas ». Cet accessoire ménage un confort tout à fait démesuré avec son prix de revient, et si les constructeurs du Golif n'ont eu que la peine d'en prendre l'idée dans les plans du «Myth of Malham» publiés dans «Offshore » par le captain Illingworth, on se demande ce que leurs confrères attendent pour en faire autant. La petite plate-forme, dont le pare-brise constitue la paroi frontale, sert à ménager la « hauteur assise » au-dessus des couchettes de l'avant. De l'extérieur, elle fournit elle-même un siège confortable, et en ce qui nous concerne, la voilà justifiée de son aspect insolite. Elle ménage, d'ailleurs, un passavant suffisant de chaque bord, tandis que le fardage est peut-être inférieur à ce qu'il aurait été avec un roof plus large.

Les hiloires très hautes, sont combinées avec un siège galbé — les bancs de cockpit ont beaucoup gagné à l'apparition du plas­tique, du moins depuis que l'on a pris l'habi­tude de supprimer les coussins qui étaient de règle naguère, — Le confort est certain et la protection très améliorée, nous gardons, tou­tefois, une petite réticence. En premier lieu, il n'est pas certain, en course, que pour ne pas être désavantagé, l'équipage qui se trouve amené à fournir des efforts plus importants que celui qui consiste à s'asseoir le plus à l'extérieur possible, comme sur un Cap-Horn ou un Corsaire (1), ensuite et surtout, des essais en février ne nous permettent absolument pas de nous rendre compte si on ne se trouvera pas définitivement trop abrité au mois d'août, transpirant contre une paroi chauffée par le soleil. Dans l'état actuel des choses, il n'y a personne qui puisse répondre à cette question.

A l'intérieur, la disposition des couchettes rappelle celle du Cap-Horn. Il est certain que les quatre couchettes ont de grandes chances de rester utilisables la plupart du temps. Il existe, par ailleurs, un important volume disponible pour le rangement au pied des couchettes arrière. Il reste qu'il n'est guère facile d'installer une penderie ni sur­tout d'isoler le coin de ce que les Anglais appellent «le problème immentionnable».

La cuisine est constituée surtout par un réchaud suspendu, monté sur cadre coulissant. Des volumes sont prévus pour assiettes et couverts, sur le prototype n'existaient encore ni évier ni table à cartes. Par contre, on a réservé un volume à la glacière.

SECURITE ET ACCASTILLAGE

L'ensemble est très classique et il n'y a guère que des points mineurs à reprendre. Le gréement et les ridoirs sont en inox et de bonnes dimensions. Nous avons apprécié les courts chandeliers solidement fixés, le taquet coinceur sur poulie double de grande écoute, les cale-pieds bien placés sur le pont. Il est dommage que la barre d'écoute de grand-voile se paye d'une barre non relevable, mais il est difficile de faire autrement avec un safran extérieur.

Le capot du roof rabattable et coulissant est très agréable à manier si ce n'est qu'on ne peut le basculer quand la bôme est au-dessus. A vrai dire, sa simplicité même excitait notre suspicion, mais, même avec l'aide d'un jet d'eau, nous  n'avons pu prendre son étanchéité en défaut.

Le puits moteur reçoit confortablement un engin de bonne puissance (jusqu'à 8 CV) dont la présence reste extrêmement discrète jusqu'au moment de la mise en route. Trop discrète, même, ce qui fait que beaucoup d'utilisateurs le laisseront là en permanence, transformant ainsi leur voilier en dragueur. En fait, quand on essaie de retirer le moteur, on s'aperçoit que ce n'est pas si commode, et qu'il n'est pas très facile de le déposer dans un des coffres dont les bords sont assez hauts. Il reste à trouver un système qui per­mette de basculer le moteur pour sortir son embase de l'eau, tout en le laissant à poste. Le problème de l'obturation du puits, quand le moteur n'est pas à poste, n'est pas  encore résolu de façon satisfaisante.

Les vidanges du cockpit sont du type de celles du Cap-Horn et consistent en deux tubes verticaux aboutissant sous le bateau, la vitesse créant une aspiration importante. Très rapide eh usage normal, le système a l'inconvénient de baisser beaucoup d'efficacité quand le bateau est sans vitesse, à la cape par exemple. Il est vrai que le cockpit du Golif est particulièrement défendu. Par contre, la position très reculée des tubes les rend moins faciles à surveiller.

CONCLUSION

En fin de compte, le Golif reproduit assez bien la physionomie colorée de son illustre parrain : jovial et bon vivant, il acceptera le gros moteur el la glacière des amateurs de confort, et ne rechignera pas à torcher de la toile à l'occasion des explications au large.

Aimant ses aises, il fera bon marché des raffinements et ses quatre hôtes l'apprécieront d'autant mieux qu'ils se connaîtront de longue date.

Ceci posé, est-il besoin de reprendre la sempiternelle comparaison des mérites du bois et du plastique ? Si nous passons de plus en plus de bateaux plastiques dans cette rubrique, ce n'est que le reflet des mises en fabrication. On comprendra bien que l'essayeur, qui ne paye ni la facture du plastique ni la peinture du bateau en bois, se trouve dans la liberté d'esprit la plus totale pour essayer de comprendre un bateau, et de déterminer à quelle catégorie d'utilisateurs il donnera satisfaction.

Faut-il aller plus loin, et au besoin à l'aide d'une machine électronique, déterminer sou­verainement quelle méthode, en général, et quel bateau, en particulier, au moment considéré, est le meilleur «toutes catégories» ? Nous ne le pensons pas, c’est pour cette bonne raison que, dans plaisance il y a plaisir, et que celui-ci ne se mesure ni au mètre, ni au kilo, ni au décimètre cube.

Le Golif a été conçu et agencé en fonction de conceptions poussées assez loin, et qui ont résulté en des innovations pariais très séduisantes, et en quelques sacrifices délibérés.

Nous pensons avoir rempli notre rôle en analysant les unes et les autres, et tout le reste, comme dit la chanson, n'est que littérature.

(1) C'est à cette position supposée des équipiers que l'on doit le fait de constater à 15° de gîte un couple de redressement plut fort pour le Cap-Horn.

Type : Monocoque habitable

Genre : Croisière

Nombre d’unités produites : 997

Chantier : Jouet (France)

Architecte : Colin/Jouet

Matériau : Polyester monolithique

Année de lancement : 1962

Fin de construction : 1967

Cote mini : 18 000 FF / 2 704 EU

Cote maxi : 30 000 FF / 4 507 EU

Déplacement (kg) : 1 300

Déplacement à vide (kg) : 900

Longueur (m) : 6,50

Flottaison (m) : 5,92

Largeur (m) : 2,22

Bau flottaison (m) : 1,89

Franc bord avant (m) : 0,92

Franc bord milieu (m) : 0,75

Hauteur du mât au dessus de la flottaison (m) : 9,50

Hauteur sous barrots (m) : 1,45

Voilure (m2) : 23,2

Poids du lest (Kg) : 480

Type d’appendice : Quillard GTE leste en fonte

Tirant d’eau (m) : 0,96 - 1,13 en J.O.G

Foc : 8m²60

Spi (m2) 21

Grand-voile : 11m²50

Prix en 1962 avec les voiles 14 700 NF

Accueil
Golif infos
Golif photos
Mon mien
Recensement
Bon plan
Rassemblement
News
Les potes
Liens
Les indipensables